A la femme aimée
Poèmes choisis du recueil de Renée Vivien :
Etudes et Préludes
(1901)
A
la Femme aimée
LORSQUE tu vins, à pas réfléchis, dans la brume,
Le ciel mêlait aux ors le cristal et
l’airain.
Ton corps se devinait, ondoiement
incertain,
Plus souple que la vague et plus frais
que l’écume.
Le soir d’été semblait un rêve oriental
De rose et de santal.
Je tremblais. De longs lys religieux et
blêmes
Se mouraient dans tes mains, comme des
cierges froids.
Leurs parfums expirants s’échappaient de
tes doigts
En le souffle pâmé des angoisses
suprêmes.
De tes clairs vêtements s’exhalaient
tour à tour
L’agonie et l’amour.
Je sentis frissonner sur mes lèvres
muettes
La douceur et l’effroi de ton premier
baiser.
Sous tes pas, j’entendis des lyres se
briser
En criant vers le ciel l’ennui fier des
poètes.
Parmi des flots de sons languissamment
décrus,
Blonde, tu m’apparus.
Et l’esprit assoiffé d’éternel,
d’impossible,
D’infini, je voulus moduler largement
Un hymne de magie et d’émerveillement.
Mais la strophe monta bégayante et
pénible,
Reflet naïf, écho puéril, vol heurté,
Vers ta Divinité.